Comment vous fixer. À qui peut donc bien s’adresser cette question sans point d’interrogation ? Aux idées qui virevoltent et s’enchaînent, aux images qui fluctuent, aux objets croisés au détour d’une rue ou encore à la lumière qui ne cesse de changer ? Et que vient désigner ici le verbe « fixer » ? S’agit-il d’accrocher quelque chose, de l’épingler au mur ou de le fixer du regard ?
Dans Comment vous fixer, déambulation inspirée de La Promenade de Robert Walser, Stéphanie Raimondi glane avec son téléphone portable toutes sortes d’objets et minimalia du quotidien : dessins tracés à la craie, gant noir, minuscule cœur dessiné sur une carte, irrégularités du bitume… À la manière de Walser, elle saisit des images au vol, des formes qui papillonnent jusqu’à ce que la photographie, le dessin ou la gravure viennent en fixer les contours et les mettre en lumière.
Car la lumière est centrale dans le travail de l’artiste : elle traverse littéralement ses œuvres. Fin lettrage doré sur fond noir pour illuminer les mots de l’autrice brésilienne Clarice Lispector dans Agua Viva (Gold & Black) (2021) ; textiles réfléchissants suspendus l’un à côté de l’autre pour que la lumière se réverbère d’une surface à l’autre dans Étude de surfaces. 1/50e. Golden Section| Golden Field (2022) ; cartes de laiton gravées à la pointe sèche et disposées aux quatre coins d’une pièce éclairée par des néons pour Comment vous fixer (2022) : les dernières propositions de Stéphanie Raimondi ont pour point commun de faire circuler la lumière et d’ouvrir des espaces, des surfaces, des plans pour que celle-ci puisse aller d’objets en objets.
Pour Roussin #10 (2022), les quatre cartes rectangulaires en laiton, sur lesquelles une même figure se trouve tracée et déclinée, diffractent la lumière et reconfigurent le lieu. Points de fixation et d’accroche du regard, ces surfaces, très légèrement incisées, laissent pourtant entrevoir une autre possibilité : la possibilité que la lumière se résorbe et que tout repère soit perdu. C’est donc aussi vers leur propre disparition que ces cartes font signe, à l’image des traces de pas laissées dans la neige par Walser lors de sa dernière promenade, un jour d’hiver 1956. Quelque chose de l’ordre de la disparition hante en effet le travail de Stéphanie Raimondi, lectrice de Robert Walser mais aussi des romans de W. G. Sebald. Comment fixer, semble-t-elle dès lors demander, toutes ces choses qui partent, s’exilent ou se dissolvent, comment les observer ? Par quels gestes les retenir ou au contraire les laisser s’effacer ?
Géraldine Sfez, mai 2022